Espaces publics et ludiques, comment Copenhague se démarque ?

Mercredi 16 heures, des enfants jouent et des adultes les surveillent. Le lieu se compose d’arbres en grillagés, de barrières vertes, et de supports de jeux vendus sur catalogue. Vous reconnaissez sûrement cette scène de square français et pouvez entendre la barrière d’entrée et la rumeur de la ville. Maintenant, tentez d’imaginer la même scène un lundi à 15 heures, sans le bruit du trafic ni les barrières, avec peu d’adultes autour, et vous voilà à Copenhague. La situation étonne avec ces bambins jouant dans la terre, parfois près de l’eau ou de la route sans que personne ne s’inquiète.

Le Danemark s’épanouit dans un climat de confiance et d’ouverture dans les sphères privées et publiques. Les aires de jeux en sont une parfaite illustration.

Cet article propose de comprendre la formation des espaces publics ludiques de Copenhague et une visite guidée de quelques lieux où le jeu règne en maître.

La création de Copenhague et l’héritage moderniste

Finger plan de Copenhague

Copenhague est créée au Xe siècle, et se transforme en village de pêcheurs fortifié. Au fil des siècles, la ville s’étend et se densifie. Vers la moitié du XXe siècle, les réseaux se développent et le canal devient une artère centrale. Copenhague appuie son statut de capitale moderne avec ses transformations urbaines. En 1947, un plan d’urbanisme est pensé par le laboratoire de planification urbaine et les architectes-urbanistes Steen E. Rasmussen et Christian E. Bredsdorff. Ce « Finger Plan » (Egnsplans kontoret) reprend l’image d’une main avec la paume comme centre de la capitale et les doigts les nouvelles zones de développement desservies par les trains. 

À terme, le plan doit permettre de travailler dans le centre et de vivre en périphérie. Entre les lignes de transport se trouvent des espaces végétalisés pour l’agriculture, les loisirs et la récréation. Ce plan traduit la pensée rationnelle du mouvement moderne où la vie est orchestrée selon des zones pour habiter, circuler, travailler et se récréer. Copenhague se modernise, et finit par tourner le dos à ses habitants. Jan Gehl, architecte urbaniste danois explique : « Pendant toutes ces années, ni les urbanistes ni les ingénieurs de la circulation n’ont accordé d’importance à l’espace urbain ou à la vie des citadins, et on ignorait pratiquement tout de l’influence des structures physiques sur le comportement humain. »[1]. Le fonctionnalisme à Copenhague a produit des espaces sans reliefs pour les sens où les supports de jeu spontané se font rares. Cependant, des modèles alternatifs se développent pour faciliter la rencontre et l’inattendu.

Les junk playground ou terrain d’aventure comme réponse à la rationalité

« Touché les conséquences modernistes sur la pratique du jeu en ville », l’architecte paysagiste Carl T. Sørensen (1893-1979) apporte une piste d’actions. Observant des enfants jouer dans un terrain vague de Copenhague, il définit le terme de « junk playground ». En 1931, il imagine le premier espace dans lequel les « gamins pouvaient à leur gré créer, rêver et laisser libre cours à leur fantaisie. »[2]. Dans ces espaces, les balançoires et bacs à sable ne sont pas présents. Il n’y est pas question de diriger le jeu, mais de le laisser se déployer selon la créativité des enfants. L’aventure se concrétise en 1943 quand ouvre le premier junk playground à Emdrup au nord de la capitale. Les enfants construisent les installations et décident de l’aspect et de l’emplacement des jeux. Ils sont encadrés par des animateurs pour tester et inventer leurs univers. Ces œuvres permettent aux enfants de renouer avec les composantes et les textures de leur quartier ; à une échelle adaptée à leur morphologie. Même si le terrain d’aventure d’Emdrup a disparu, son influence demeure dans les constructions ludiques, qui laissent les enfants libres d’imaginer et d’explorer par eux-mêmes dès la fin des années 60.

The first examples of an adventure playground « Emdrup », opened by Carl Theodor Sørensen in Denmark (Photograph: SVEN TÜRCK / VISDA)

« L’avenir appartient aux villes qui sauront offrir le meilleur de leur territoire à façonner, déformer, transformer d’année en année par ses enfants, leurs jeux et leurs rires, qui laisseront ouverte […] la possibilité du jeu. »[3].

Une ville à échelle humaine avec le jeu en acuponcture urbaine*

* L’acupuncture appliquée aux villes. L’idée fait son chemin depuis 2005, notamment grâce au collectif Rebar, basé à San Francisco, et grâce à Jaime Lerner, architecte urbaniste brésilien. L’acupuncture urbaine revitalise une « zone malade ou épuisée » en intervenant sur un point clé.

Vers 1960, les autorités municipales souhaitent redonner un cadre de vie favorable aux habitants en végétalisant et piétonisant de nombreuses rues. Les habitants se réapproprient leur ville. «De 1962 à 2005, on a multiplié par sept la superficie allouée aux piétons et à la vie urbaine : d’environ 15 000 m2, elle est passée à 100 000 m2.»[3]. En 2014, une politique architecturale du gouvernement « Putting people first » en écho aux travaux de l’architecte Jan Gehl, replace l’humain au centre. Cette politique souhaite donner à tous, en particulier aux enfants et aux jeunes, l’accès pour expérimenter le monde créatif de l’architecture, et comprendre comment celui-ci nous affecte en tant qu’êtres humains.

Aménagements extérieurs du BLOX, danish architecture center, par OMA – Photos de Gregory Nunez durant les Journées Architecture et Développement Urbain Durable.

Le cas du jeu en ville est assez révélateur de cette volonté et celui-ci peut se déployer avec toute sorte de mobilier urbain comme support. Son design est pensé pour être robuste et fonctionnel, mais aussi confortable, beau et permettre l’inattendu. Cet inattendu est permis grâce aux courbes, pentes, matériaux ou variations d’échelles. Le plus souvent, cette rencontre du corps et des artefacts urbains se traduit par le jeu. Cela est aussi facilité par les adultes qui font confiance et laissent les enfants explorer. Différentes places et artères de Copenhague témoignent de cet égard. Par exemple, la transformation d’Israel Plads par l’agence danoise Cobe inclus des marches, courbes et jeux d’eau appréciés toute l’année. Une autre place est Enghave Plads dont les bancs rouges arrondis à deux niveaux d’assises (designés par le danois Martin Larsen) témoignent d’un souci d’accessibilité et d’exploration par les plus jeunes. La relation à la rue d’une des façades de BLOX de l’agence hollandaise OMA est aussi très appréciée des locaux. Celle-ci est ponctuée de toboggans et autres pentes qui font le plaisir des visiteurs et passants. 

Enfin, les trampolines incrustés dans les trottoirs de Havnepromenade permettent de faire une pause face au canal tout en jouant. Peu importe la météo ou l’heure de la journée, ils sont toujours le théâtre de rires et de sauts. Ces exemples non exhaustifs traduisent bien une attention des détails et une place majeure accordée au jeu. Il semblerait que les architectes et designers n’aient pas oublié l’importance de ces moments spontanés et joyeux transmis par le jeu.

Quand la ville et les espaces ludiques ne font plus qu’un

Les espaces ludiques de Copenhague peuvent aussi être le fil conducteur de projets urbains à grande échelle.

Park’n’Play, Jaja Architects – Photos de Tanguy Favre durant les Journées Architecture et Développement Urbain Durable.

C’est le cas de Park & Play ou Konditaget Lüders livré en 2016 par l’agence danoise Jaja. Cachée sur le toit d’un parking, une vaste aire de jeu permet la récréation et offre une vue dégagée sur la mer et le quartier de Nordhavn. En s’approchant des escaliers, les passants peuvent remarquer des compteurs à activer et sont invités à jouer. En suivant la main-courante en acier tubulaire rouge, ils découvrent qu’elle se déploie en toiture pour accueillir des artefacts. Cette ligne est tantôt le support de jeux ou d’assises. Le plan propose plusieurs zones d’activités plus ou moins actives ou collectives. Le tout n’est pas clairement séparé, mais relié avec la ligne rouge et le revêtement du sol. Les marquages au sol de motifs, et symboles accompagnent ces zones et stimulent l’imaginaire.

Superkilen, par Bjarke Ingels Group – Photos de Gregory Nunez durant les Journées Architecture et Développement Urbain Durable.

Le jeu inscrit dans le tissu urbain est illustré par parc ludique Superkilen livré en 2012 et issu des architectes de l’agence danoise BIG, des paysagistes allemands de Topotek 1 et des artistes danois de Superflex. Le projet est situé à Nørrebro, et est devenu un symbole du renouveau du quartier. S’étirant sur 750 mètres, il propose trois zones d’activités aux couleurs rouge, noir et vert. Le projet est né d’une collaboration entre les citoyens du quartier aux profils ethniques variés, de la mairie et des artistes/architectes. Une volonté majeure est d’inclure des artefacts et mobiliers urbains des pays des habitants. Le résultat permet une lecture enrichie de la diversité culturelle du quartier. En filigrane, il est possible de deviner une volonté de redorer l’image du quartier. Cette opération pourrait recouvrir des volontés de marketing urbain pour attirer les touristes en dehors de l’hyper-centre, et inciter des jeunes parents à s’y installer. Néanmoins, sa fréquentation ne désemplit pas tant les activités y sont variées. Des adultes sportifs côtoient des enfants qui jouent avec toutes sortes d’installations – et inversement, tandis que les cyclistes traversent le parc. Un des endroits les plus appréciés du parc est la colline noire aux lignes blanches qui offre de larges possibilités de jeux à la fois corporels et photographiques. Tous les artefacts et installations lumineuses ainsi que la chromatique du lieu lui ont conféré son rayonnement culturel. Superkilen est un projet ludique et généreux qui continue à attiser la curiosité des locaux et visiteurs. Ce lieu singulier semble être un facteur de l’attractivité du modèle urbain de Copenhague.

Tous ces espaces publics ludiques font partie de la ville et participent à la qualité de vie dans la capitale. Ces lieux permettent la rencontre et la spontanéité grâce à la flexibilité des usages. Pendant le Covid quand la majeure partie des lieux culturels et sociaux étaient fermés, les espaces ludiques extérieurs sont devenus des points centraux de la vie de Copenhague. Ils étaient par exemple des extensions directes des salles de sport, des terrasses de café ou de salle de spectacles improvisée. Tous ces usages spontanés et nécessaires au maintien d’un lien social ont souvent perduré après les restrictions gouvernementales. Cela témoigne de l’importance de l’inattendu dans le dessin des espaces publics. En ce sens, Copenhague propose un modèle urbain riche et ludique aux nombreuses valeurs ajoutées.

1 GEHL, J. Pour des villes à échelle humaine. Traduit par N CALVÉ. Montréal: Écosociété, 2012

2 GAUZIN-MÜLLER, D, « De l’aire de jeux au terrain d’aventures » dans PAQUOT, T La ville récréative, enfants joueurs et écoles buissonnières. Gollion: Infolio, 2015

3 BROSSARD-LOTIGIER, S « Le jeu, un impératif éducationnel », dans PAQUOT, T La ville récréative, enfants joueurs et écoles buissonnières. Gollion: Infolio, 2015

4 Issue de https://channel.louisiana.dk/video/jaja-architects-parknplay, l’associée co-fondatrice de Jaja Architects Kathrin Susanna Gimmel exprime : “doesn’t just take space, it gives space too”.

ÉCRIT PAR VICTORIA CHENAIS, ARCHITECTE CHEZ HENNING LARSEN, POUR NORDIC INSITE

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Christine BORDIN, Fondatrice et directrice de NORDIC INSITE

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