L’eau dans l’imaginaire danois : une leçon de sublime

Baigneurs à l’aube à Nordhavn, novembre 2020 (credits : Ako Kurnosenko)

 

Au pays des 443 îles, aucun danois n’est éloigné de plus de 50 km de la mer, élément de la nature propice à l‘expérience du sublime. Et pour cette raison, tous ont appris à la connaitre et à la respecter. Si elle représente un danger, elle est aussi un divertissement, une échappatoire pour ceux qui connaissent les règles. Du plaisir du bain à l’intransigeance du ‘farvand’ (les eaux navigables en danois), comment les narratifs de l’eau inspirent l’architecte pour construire une ville résiliente et durable, composant avec le réchauffement climatique ?

Le plaisir du bain, un principe danois

Une nuit d’Août vers minuit, alors que le soleil s’est enfin couché sur Copenhague, mon ami danois Jensjakob voit pour la première fois des bioluminescences, appelées aussi ‘morild’ et qu’il traduit par « les feux de la mère ».

« Je nageais dans le canal d’Islands Brygge, quand un phénomène de bioluminescence se produisit. L’eau était complètement calme, mais j’ai vu s’échapper de mes mains et avant-bras, tandis que je les agitais à la surface de l’eau, ce que je croyais au départ être des bulles d’air illuminées.  (…) J’ai encore agité ma main, les doigts écartés, et si Dieu existe, des étincelles de lumières verdoyantes et bleutées apparurent, virevoltèrent et disparurent aussi vite. Qu’avais-je donc de mieux à faire que de nager, les yeux grands ouverts et l’âme bercée de plaisir devant une si belle découverte ? Ce furent Les 200m de crawl les plus stimulants de ma vie. (…) Quelques étoiles filantes au-dessus de ma tête, des milliers sous l’eau. »

Des morild dans le farvand, c’est pittoresque ! Mais ce n’est pas tout. Nombreux sont les danois qui continuent de se baigner en hiver. Par plaisir, ou bien pour réveiller l’âme du viking qui est en en eux ? Sensation de grande liberté, adrénaline, courage, séduction, voilà en tout cas de bonnes raisons de se jeter à l’eau.

La reconversion du port de Copenhague

Cette expérience dans l’eau du port de Copenhague n’aurait pas été possible il y a 20 ans. En 1960, un niveau maximal de pollution de l’eau est atteint et le dernier site public de baignade est forcé de fermer. Le port reste longtemps très pollué jusqu’à ce que la ville de Copenhague décide de changer le statut du port industriel de Sydhavn en 1989, pour en faire un ensemble de bureaux et de logements résidentiels. Les navires de charge et de la marine sont alors déplacés, les usines et les chantiers navals disparaissent petit à petit.

En 1992, il est décidé de moderniser le système de traitement des eaux afin de rendre de nouveau possible la baignade et la pêche dans Sydhavn et de diversifier la faune et la flore. Aujourd’hui, grâce à la limitation des zones inondables et à l’expansion des réservoirs d’eaux usées, l’eau du port de Copenhague est aussi propre que celle au dehors. Les poissons, les oiseaux et la flore sont revenus, les berges se sont développées pour offrir davantage d’activités sportives et récréatives aux pieds des habitations.

La ville portuaire et capitale danoise donne ainsi un exemple d’une reconversion réussie et invite d’autres ports soumis à l’épreuve de la pollution, à se transformer à leur tour.

Les architectes jouent sur l’ambivalence de l’eau récréative et sublimatrice

Imaginaire et architecture dessinent des espaces organisés, conventionnés, mais où la nature se laisse toutefois appréhender dans tout ce qu’elle a de plus sublime. Propice à la baignade donc, la côte Baltique offre un terrain d’expression privilégié pour les architectes qui jouent alors aux poètes.

Par exemple, l’agence White Arkitekter a construit à Kastrup, au sud de Copenhague, une installation de baignade ayant la forme d’une perle, orientée vers la côte, créant un refuge protégé des vents pour les baigneurs. Ils expliquent : en prenant la passerelle, on évite tout d’abord le sable, puis on se retourne pour contempler la côte – avant de se jeter à l’eau. L’expérience de la nature, la recherche de sensation ont ici toute leur place. Les bancs qui bordent la structure ajoutent des espaces privilégiés pour le loisir comme pour la réflexion.

Source : Visitdenmark media – Infinite Bridge by Gjøde & Povlsgaard

Une autre sculpture, cette fois sur la côte-est du Jutland près d’Aarhus, invite à une expérience tout aussi particulière. Situé sur les vestiges d’un ancien port de plaisance, l’Infinite Bridge (Den Uendelige Bro en danois), réalisé par les architectes Gjøde & Povlsgaard, est un pont en bois parfaitement rond, duquel le promeneur peut mieux apprécier le panorama. Gjøde & Povlsgaard font appel au potentiel d’un espace pour mettre en valeur la nature. Ici, « la nature, la ville à l’horizon, le port et le rapport à l’eau » sont « la véritable œuvre d’art ». L’Infinite Bridge s’inscrit ainsi dans le Land Art, mouvement apparu dans les années 1960 en opposition à la non-commercialisation de l’art, en choisissant de placer l’œuvre au cœur de la nature et d’employer les matériaux qui composent le paysage.

Les deux œuvres ci-dessus exploitent le caractère récréatif de l’eau, mais elles questionnent aussi la place de l’homme à la fois au centre de la nature et encerclé par celle-ci ? Tourner en rond infiniment, serait-ce un mythe de Sisyphe à la danoise ? Si ces structures conduisent le promeneur ou le baigneur à prendre conscience de sa condition humaine, elles le conduisent de surcroit, à une forme de révolte : le baigneur choisit de se jeter à l’eau, pour être libre.

La nature infiniment grande et l’homme infiniment petit

La révolte de l’homme face à la nature est-elle vaine ? Le phare de Rybjerg Knude, proie de la mer depuis sa construction il y a siècle, semble nous dire oui. Le déplacement de la dune d’une part le pousse vers l’abîme de la falaise, elle-même érodée par la mer. En 1968, le phare cesse d’assurer son rôle fonctionnel, et accueille plus tard un musée sur son histoire et les dispositions prise pour le préserver. En 1992, la lutte contre l’ensevelissement est abandonnée et le phare laissé à sa merci. En 2019, la municipalité, ainsi que RealDania, font déplacer le phare de 60m ver l’intérieur de la côte et le dote d’une nouvelle structure intérieure réalisée par Jaja architects. Même s’il continue de bouger, le phare est ainsi préservé pour, on ne sait vraiment pour combien d’années.

Les architectes Jaja ont donné au phare une troisième vie, et à son destin tragique, une interprétation poétique. Conservant l’aspect extérieur intact, ils ont construit à l’intérieur un escalier en colimaçon à partir de différents types d’acier et ont couronné le phare d’un grand kaléidoscope : ce dernier mis en mouvement par le vent fait pénétrer la lumière qui traverse l’escalier en acier comme un moucharabieh, proposant au visiteur qui gravit les marches un spectacle vertigineux de couleurs. D’en haut, il aperçoit les briques rouges éparpillées tout autour, comme soufflées par le vent. Elles donnent au lieu une atmosphère pesante et libératrice, qui impose au conquérant de la nature une certaine humilité. Le temps semble s’être arrêté.

En attendant que l’eau ne monte : La prise de conscience par l’art et l’architecture

L’architecte de demain, pour contribuer au 11e Objectif de Développement Durable (ODD, Nations Unies), devra faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables’. Or à Copenhague d’ici 2100, on s’attend à une augmentation de 30 à 40% des précipitations, tandis que le niveau de l’eau autour de la ville va probablement monter de 33 à 61 cm (Commission Européenne). La ville danoise de Vejle (114 000 habitants), dont Le fjord fait aussi partie des zones inondables, a appelé les architectes à proposer une infrastructure protégeant le fjord des futures ondes de tempêtes.

While we wait for the see (des architectes J. Houser et J. Johansen) – c’est le nom donné au second projet vainqueur de la compétition, après le projet vainqueur Membrane (J. Philipsen, A. H. Williamson, L. Brando). Les deux master plans proposés ont été conçu pour faire avec la nature, et non contre elle. La Membrane est donc une structure poreuse, une enveloppe sélectivement perméable qui, même immergée par la montée des eaux, pourrait continuer d’assurer son rôle protecteur.r

Le paradigme de la membrane, comme on l’appellera ici, est également largement représenté dans l’exposition Event Horizon, une invitation de l’artiste argentin Tomas Saraceno à nous pencher sur l’adaptation de notre habitat au changement climatique. L’exposition offre une expérience artistique aquatique unique dans la pénombre des anciennes citernes de Copenhague, qui furent de 1856 à 1933 le principal réservoir d’eau potable de la capitale. Sous-terre, le visiteur navigue en barque sous les arcades de la citerne, entre ses piliers massifs, dans une obscurité presque totale. Au fil de la lente traversée de la citerne, un jeu de lumière, d’ombres et de reflets laisse entrevoir les sculptures sphériques et métalliques que Saraceno a mises en suspension dans l’air. Malgré les multiples contrastes de forme et de poids entre le langage de la citerne et celui des planètes, des bulles et des toiles d’araignées, l’harmonie de l’ensemble plonge l’explorateur dans une contemplation visionnaire. Qui sait, construirons-nous un jour des bulles d’oxygène pour survivre sous l’eau, comme les araignées Argyronètes (Argyroneta aquatica) ?

L’expérience de l’eau et du sublime nous rappellent que la nature reprend toujours le dessus, mais que la respecter peut nous émanciper et nous libérer. L’art et l’architecture qui se prêtent à ces expériences uniques ont le pouvoir de renforcer la prise de conscience du changement climatique . Ils contribuent à forger un imaginaire dans lequel l’homme habite la nature et la nature habite l’homme. Il y a dans la reconversion du port de Copenhague, dans le land art, dans l’éducation danoise une porosité disciplinaire si fluide qu’elle permettra l’intégration de nombreux angles de vues dans la construction des villes de demain.

 

C’est dans cette logique que l’habitat de demain doit être construit, pour pouvoir s’adapter tant à la prochaine inondation qu’à la prochaine sécheresse. Anupama Kundoo, architecte indienne exposée en ce moment au musée d’art contemporain Louisiana, pose trois principes pour la construction des villes de demain, réplicables de l’Inde au Danemark : l’habitat du futur devrait être construit à partir de matériaux écologiques produits localement, dans la même langue architecturale que son environnement, et aura une consommation énergétique minimale. A votre tour maintenant, de vous jeter à l’eau.

Annabelle Moine (LinkedIn)

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